Ceci est une version consultable par le grand public de l’argumentaire à destination des parlementaires amené⋅es à discuter la proposition de loi de Mme Jacqueline EUSTACHE-BRINIO et plusieurs de ses collègues, déposé au Sénat le 19 mars 2024 sous le titre « Prise en charge des mineurs en questionnement de genre ».
Table des matières
Un agenda de lobbyistes déconnecté de l’actualité
Il n’y a aucune actualité particulière justifiant cette proposition de loi. La prise en charge des mineurs trans a lieu en France depuis de nombreuses années, et ne faisait l’objet d’aucun débat médiatique avant la création en 2021 d’un certain nombre d’organisations exerçant un lobbying pour son interdiction. Parmi elles, on trouve des organisations clés comme « l’Observatoire de la Petite Sirène » ou « Ypomoni », créées spécialement dans le but de faire adopter une telle loi. Elles sont par ailleurs en lien avec d’autres lobbies internationaux, comme le groupe Genspect, promouvant l’interdiction des transitions avant 25 ans. « L’Observatoire de la Petite Sirène » a directement participé à l’élaboration du rapport de Jacqueline Eustache-Brinio, ses fondatrices étant présentes lors des auditions des associations, aux côtés de la sénatrice. Des enquêtes journalistiques ont depuis révélé qu’elles l’ont même rédigé, et ont été rémunérées pour cela. Ce calendrier ne doit donc rien à un besoin réel d’une nouvelle loi : il n’est que l’aboutissement de leur travail d’influence.
Mediapart : Rapport sur les mineurs trans au Sénat : enquête sur une manipulation
Les enfant trans existent
De nombreuses personnes trans témoignent du fait d’avoir eu connaissance de leur désir de transition dès la petite, voire très petite enfance. C’est l’absence d’information et la stigmatisation sociale qui conduisent à des coming out plus tardifs. D’après les archives disponibles, depuis les années 1970 au moins, des enfants exprimant un désir de transition ont été pris en charge par les médecins spécialistes de ce secteur. De nos jours, davantage de mineurs trans prennent la parole et témoignent de leur parcours, la transidentité ayant gagné en visibilité médiatique à partir des années 2010. Pour des personnes ignorantes du sujet, il peut sembler que les enfants trans sont « apparus » de façon soudaine, alors qu’ils ont toujours été là. C’est exactement le même parcours de stigmatisation qu’a connu l’homosexualité : au moment du débat sur le Mariage Pour Tous, les opposants à cette réforme ont aussi craint un “effet de mode” et “l’embrigadement” de la jeunesse.
Il n’y a pas d’« épidémie » de jeunes trans
La théorie de « l’épidémie » n’a jamais été prouvée. Elle a été inventée en 2018 par une médecin transphobe américaine, Lisa Littman, qui a produit une étude en interrogeant uniquement des parents recrutés sur des sites internet anti-trans, qui ont donc indiqué que leurs enfants étaient manipulés par les réseaux sociaux et qu’ils n’étaient pas vraiment trans. Les médecins spécialistes de la transidentité sont d’accord pour dire que si plus d’enfants peuvent transitionner, c’est simplement grâce aux progrès de l’accès à l’information, et au plus grand nombre de médecins et des psychologues formés à la transidentité. Cela permet aux enfants de mettre plus facilement les mots sur leur transidentité qu’il y a quelques années.
Un article scientifique qui revient sur les nombreux problèmes méthodologiques des articles sur “la contagion sociale” :
Florence Ashley, « « Rapid-Onset Gender Dysphoria » », GLAD!, 13, 2022
On ne peut pas « guérir » la transidentité
Les thérapies visant à « réconcilier » l’enfant avec son genre de naissance sont dangereuses et infondées scientifiquement. Aucune étude à ce jour n’indique qu’il soit possible de « traiter » la transidentité par une méthode psychothérapeutique ou psychanalytique. Si les enfants souffrent souvent de multiples problèmes de santé mentale, la première raison est la transphobie de leur entourage ou de la société. Les thérapeutes spécialistes de la santé des personnes trans encouragent au contraire l’exploration de l’identité et de l’expression de genre.
Les thérapies dites « exploratoires », inventées aux États-Unis, sont justement l’inverse d’une réelle exploration du genre. Elles sont populaires dans les États républicains ayant interdit les transitions des mineurs. Elles sont basées sur l’idée que cela serait possible d’identifier les traumatismes ayant provoqué la transidentité des patients. Elles n’ont jamais montré le moindre résultat malgré de nombreuses tentatives. Ce qui est “exploré” dans ces pratiques de conversion, c’est ce qui incite les enfants à vouloir transitionner. Souvent présentées comme “un simple encouragement à attendre”, elles s’assimilent dans les faits à des tentatives précédentes de “soigner” l’homosexualité. En France, la loi interdit les pratiques de conversion visant à “modifier ou à réprimer l’orientation sexuelle ou l’identité de genre, vraie ou supposée, d’une personne”. Les thérapies dites “exploratoires” visent explicitement cet objectif.
Un article scientifique mettant en lumière les problèmes thérapeutiques, éthiques, et déontologiques qui se posent concernant les “thérapies d’exploration” promues par les activistes anti-trans :
Florence Ashley, “Interrogating Gender-Exploratory Therapy”, Perspectives on Psychological Science, 18(2), 472-481
Chirurgies et transition chez les mineurs, de quoi parle-t-on ?
Les opérations chirurgicales sont accessibles aux mineurs trans dans les mêmes conditions qu’à l’ensemble des mineurs. D’après des éléments de réponse du Conseil National de l’Ordre des Médecins, les prestations de chirurgie esthétique et reconstructrices sont accessibles à des mineurs à condition d’un suivi suffisant et du respect du consentement éclairé des patients et de leurs représentants légaux, sur la base d’une information claire et détaillant les effets secondaires indésirables envisageables. Il n’y a aucune raison médicale ou éthique qu’un traitement accessible aux autres mineurs ne le soit pas aux mineurs trans.
« Dès lors que des actes de chirurgie esthétique peuvent être pratiqués sur des mineurs, une torsoplastie effectuée dans le cadre d’une transition de genre pourrait être considérée comme un acte de chirurgie réparatrice ou reconstructrice […] et être pratiquée sur un mineur après information et consentement de ce dernier et des titulaires de l’autorité parentale. »
Le Conseil National de l’Ordre des Médecins valide les chirurgies des mineur·es trans
Les collectifs militants qui prétendent vouloir “protéger les enfants” d’interventions chirurgicales font systématiquement preuve d’une hypocrisie en ne s’attaquant pas, voire en défendant, les opérations notamment génitales dont sont victimes les enfants intersexes. Ces opérations relèvent d’une pratique effectivement mutilante de la chirurgie, et demeurent protégées, comme le rappelait le Collectif Intersexe Activiste en 2022. Aux Etats-Unis les lois anti-trans ont été conçues explicitement de façon à permettre le maintien de ces pratiques mutilantes.
Human Rights Watch : Les lois anti-trans ciblent aussi les enfants intersexes
En concentrant son champ d’application au traitement de la dysphorie, la proposition de loi Eustache-Brinio garantit également que les enfants intersexes continueront à être victimes d’opérations réalisées sans consentement.
Il existe un consensus scientifique parmi les spécialistes
Les médecins spécialistes de la transidentité savent ce qu’ils font.
« La Société d’endocrinologie – qui compte 18 000 membres – et la WPATH ont estimé, respectivement en 2017 et 2022, des centaines de références scientifiques à l’appui, que le rapport bénéfice-risque était en faveur du recours aux bloqueurs comme aux hormones. »
Le Monde : Mineurs transgenres et hormonothérapie : ce que dit la science
En France la plateforme Trajectoires Jeunes Trans, par exemple, existe depuis 2012, est coordonnée par l’AP-HP, et regroupe de nombreux experts, professionnels de santé et chercheurs. Toutes les décisions de traitements hormonaux ou par bloqueurs y sont prises collégialement. Les enfants y sont suivis sur la durée, et il s’écoule généralement plus d’un an entre le début du suivi et une première prescription.
Loin du cliché des transitions “à la va-vite”, la pratique révèle plutôt un travail méthodique et patient : “Les consultations sont des consultations longues, d’une durée d’une heure environ, avec un temps d’entretien familial, un temps avec le ou la jeune sans ses parents, et pour la plupart des familles aussi des temps d’entretien avec les parents sans leur enfant”.
Condat, A., et D. Cohen. « La prise en charge des enfants, adolescentes et adolescents transgenres en France : controverses récentes et enjeux éthiques ». Neuropsychiatrie de l’Enfance et de l’Adolescence 70, nᵒ 8 (1 décembre 2022): 408‑26. https://doi.org/10.1016/j.neurenf.2022.10.003.
« Ce choix n’est pas systématique : à titre d’exemple, sur les 240 jeunes patients de 3 à 20 ans suivis, en dix ans, au sein de la consultation parisienne de la Pitié-Salpêtrière – dispositif de référence –, 11 % ont reçu des bloqueurs de puberté, 44 % des traitements hormonaux de masculinisation ou de féminisation. Dans le premier cas, l’âge moyen de prescription est de 13,9 ans ; dans le second, de 16,9 ans. »
Le Monde : Mineurs transgenres : familles et professionnels de santé s’inquiètent de la mise en cause des parcours de soins
Les retardateurs de puberté : ni traitement anodin, ni empoisonnement
Les traitements bloqueurs/retardateurs de puberté (aussi dits “GnRH”) sont utilisés sur des adolescents depuis plusieurs décennies. Ils sont communément employés dans les cas de puberté précoce, et leur usage dans le cas de transitions a été mis en place de façon occasionnelle depuis les années 2000. L’avantage de ces traitements est avant tout de prévenir une puberté dans le genre non-désiré, pour laisser aux enfants le temps de choisir s’ils veulent poursuivre un parcours de transition (ce qui est le cas dans la majorité des cas) ou non. Si le traitement est interrompu, la puberté reprend son cours. De tels traitements permettent de réduire considérablement la détresse psychologique, ainsi que les interventions médicales nécessaires en aval, lorsque la puberté dans le genre non-désiré a eu lieu.
Comme tout traitement, les bloqueurs/retardateurs de puberté ne sont pas sans effets secondaires et doivent être accompagnés par un suivi médical sérieux : un apport en calcium et vitamine D ainsi qu’une pratique sportive sont notamment recommandés pour pallier les risques de moindre renforcement des os pendant le traitement. Les effets secondaires de ces traitements étant les mêmes pour toutes les personnes, trans ou cis, il n’y a de toute façon aucune raison de les interdire pour un seul de ces deux groupes.
Les enfants trans sont un groupe vulnérable qui a besoin de protections
Tous les jeunes LGBT sont davantage exposés aux risques de harcèlement, de violence, et de rupture familiale que le reste de la société. C’est particulièrement le cas des enfants trans : d’après les études connues, ces enfants sont fréquemment exposés aux risques de harcèlement verbal et physique, de discrimination, de violences intrafamiliales et de violences sexuelles, comme le montrent de façon répétée les enquêtes menées sur le sujet, notamment le US Trans Survey, actuellement l’étude la plus grande menée au monde, auprès de 90.000 répondants : 80% des répondants dans les cohortes adultes et 60% des 16-17 ans ayant au sondage de 2022 témoignent avoir été victimes de violences dans le cadre scolaire. Cette réalité contredit totalement la thèse farfelue selon laquelle des enfants choisissent de se définir comme trans par désir de “popularité”.
Les protections minimales mises en place, parmi lesquelles la circulaire Blanquer, ne l’ont été qu’après plusieurs affaires tragiques, notamment de suicides d’enfants trans. Contrairement à ce que demande le rapport Eustache-Brinio, ces protections ne doivent pas seulement être maintenues, mais renforcées pour inclure la protection face aux abus quand ceux-ci viennent des parents : actuellement, l’accompagnement d’une transition sociale en milieu scolaire n’est possible qu’avec l’accord des deux parents.
Ministère de l’Education Nationale et de la Jeunesse. « Pour une meilleure prise en compte des questions relatives à l’identité de genre en milieu scolaire ». Consulté le 25 avril 2024.
Les parents accompagnants ne sont pas des irresponsables
Les parents qui acceptent et accompagnent leurs enfants trans dans leur transition savent bien que c’est ce dont leur enfant a besoin. Les travaux menés de façon longitudinale sur des enfants trans, comme ceux de Tay Meadow, montrent une acceptation difficile et des parcours principalement motivés par la volonté de préserver les enfants. Ces travaux contredisent de fait les théories qui attribuent l’augmentation du nombre de transitions chez des mineurs (théorie du “Syndrôme de Münchausen par procuration”, infondée scientifiquement et selon laquelle ces parents “simulent” la dysphorie de leurs enfants).
Transition de genre : non, nous ne cacherons pas nos enfants – Libération
Les thérapies alternatives mises en avant par les activistes anti-trans n’ont jamais fait leurs preuves. De l’aveu même de ces activistes anti-trans, même dans des environnements peu accueillants et transphobes, les enfants trans maintiennent en général leur identité de genre. Il est essentiel de dénoncer un cadre législatif basé sur l’idée que les parents accompagnés de médecins formés et de communautés de pairs ne savent pas identifier la prise en charge adéquate de leurs enfants. Comme pour tous les enfants LGBT, il faut également renforcer la lutte contre les thérapies de conversion et les abus au sein de la sphère familiale, quand ils ont lieu.
Un processus législatif mené avec amateurisme
Le rapport aussi bien que la proposition de loi Eustache-Brinio se distinguent par un manque de sérieux aussi bien sur le plan méthodologique que rédactionnel qui a toutes les raisons d’inquiéter. Le rapport emploie ainsi un langage dogmatique, choisissant d’ignorer les catégories mises en avant par les scientifiques par convenance idéologique. Un deux poids, deux mesures étonnant est à noter dans les acteurs interrogés. Des médecins au parcours reconnu sont placés sur un pied d’égalité, voire le plus souvent moins considérés, que des activistes sans aucune crédibilité scientifique. L’expertise des équipes pluridisciplinaires de l’AP-HP et de services spécialisés de pédopsychiatrie, qui ont pris en charge des centaines d’enfants accompagnés de leur famille ces dernières années, est ignorée. Sont en revanche mises en avant les thèses de l’obscur docteur Zucker, médecin ultra-conservateur canadien, dont la clinique a été fermée par les services de santé de son pays après l’adoption en 2015 de la loi interdisant les thérapies de conversion, ainsi que d’autres médecins soupçonnés de conflits d’intérêt.
Une bien soudaine adoration des “modèles étrangers”
Enfin, il est possible de noter l’ironie de la démarche des réseaux conservateurs autour de ce thème. Depuis plusieurs années, ces réseaux ont constitué une véritable panique morale autour de la prétendue “importation de modes anglo-saxonnes” en France. Il est donc particulièrement ironique de voir que, sur le sujet de la transidentité, ils défendent soudain l’idée que, simplement parce que certains Etats conservateurs des Etats-Unis ou le Royaume-Uni ont mis en place une certaine politique, la France devrait automatiquement s’aligner sur eux. Au contraire, le modèle français s’est graduellement amélioré et peut servir d’exemple de ce qu’une écoute approfondie des patients, un travail avec les acteurs de terrain, et la valorisation de l’expertise adossé à une couverture santé universelle permettent d’accomplir, sans pour autant se mentir sur les progrès, toujours possibles, à réaliser.